XALEY, 10 ANS D’ENGAGEMENT
11/05/2018
SANTÉ MENSTRUELLE ET DROITS HUMAINS
11/05/2018

VICTIMES D’UNE DOUBLE DISCRIMINATION

Les petites filles et les adolescentes au Sénégal, victimes d’une double discrimination.

La fondation Xaley a passé plus de 12 ans à collaborer avec les Associations d’Enfants et de Jeunes Travailleurs de plusieurs villes au Sénégal, des Associations qui ont comme objectif la défense et la promotion des droits de l’enfance.


Les droits des petites filles

Après douze ans à travailler main dans la main avec les filles et garçons des Associations, à entendre de la bouche de ces jeunes leurs peurs, leurs manques, leurs souffrances, leurs rêves et leurs réussites, à chercher ensemble des stratégies, des plans et des moyens pour revendiquer leurs droits, à les accompagner lors de leurs activités et leurs mobilisations, nous avons pris conscience de certaines réalités de la situation des petites filles et des adolescentes au Sénégal que nous voudrions partager avec vous.

En premier lieu, je voudrais clarifier une chose : il n’existe pas de droits spécifiques pour les petites filles. Les petites filles et les petits garçons ont les mêmes droits, tout comme les droits des femmes sont les droits de l’Homme.Mais la réalité est qu’au Sénégal, les petites filles voient leurs droits beaucoup moins respectés que les petits garçons.

Une société hierarchisée

La notion de hiérarchie est très présente dans la société sénégalaise, basée sur deux valeurs : l’âge et le sexe. Un des principes basiques de la culture sénégalaise est le respect, l’obéissance et la déférence vis-à-vis de quelqu’un de plus âgé. Un enfant de dix ans devra le respect et l’obéissance à un autre de quinze ans, et un jeune de vingt ans devra la même chose à un adulte de cinquante ans.

D’un autre côté, au Sénégal persistent des normes, des pratiques et des traditions culturelles qui vont à l’encontre de l’égalité des sexes, ainsi que des attitudes patriarcales et des stéréotypes pronfondément ancrés, liés aux fonctions, aux responsabilités et aux identités des femmes et des hommes dans la société.

La conjonction de ces deux réalités culturelles, très fortement enracinées, implique que les petites filles et les adolescentes soient victimes d’une double discrimination: parce qu’elles sont mineures et parce qu’elles sont des femmes.

Cette double discrimination affecte la vie des ces petites filles et adolescentes dans tous les domaines, dont celui de l’accès à leurs droits.

Le droit à l’éducation

Si nous nous penchons sur le droit essentiel à l’éducation, nous observons que les petits garçons et les petites filles accèdent au cycle primaire d’éducation dans des proportions égales. Cependant, à partir du cycle secondaire, lorsque les filles atteignent la puberté, il y a de moins en moins de filles qui continuent leurs études, et le pourcentage de filles dans les écoles baisse.

Plus on avance dans le cycle éducatif, plus le pourcentage d’étudiantes baisse, de sorte que dans l’éducation supérieur, le pourcentage est inférieur à un tiers.

Les causes de cette réalité sont multiples. Dans beaucoup de familles sénégalaises, on considère que le rôle de la femme se limite à être de bonnes filles et épouses, à se charger des tâches ménagères et à prendre soin des enfants.

Les taux d’inscription si bas des filles au niveau éducatif secondaire et tertiaire et les taux élevés de d’abandon scolaire des filles à tous niveaux d’enseignement sont dûs, entre autres, au mariage précoce, à la répartition inégale des tâches domestiques et au fait que les parents préfèrent que ce soient leurs fils qui accèdent à l’éducation.

 

Le droit à la liberté sexuelle

Si nous nous penchons sur la liberté sexuelle, on constate que les petites filles sont victimes très couramment de violences et de pratiques néfastes

La loi sénégalaise interdit le mariage des filles en dessous de 16 ans et des garçons en dessous de 18 ans, ce qui est une inégalité des sexes contraire aux traités internationaux. L’article 17 de la constitution interdit le mariage forcé.

Malgré cela, 9% des filles de 15 ans 31% des filles de 18 ans sont mariées. Au Sénégal, le mariage forcé des mineures, décidé et imposé par les parents, est une pratique commune très répandue et acceptée.

Quand on demande aux filles et aux jeunes qui viennent d’entrer dans les Associations avec lesquelles nous travaillons qui décide de qui elles vont épouser, une grande majorité répond que ce sont les parents. C’est seulement après plusieurs mois passés à participer aux activités des Associations qu’elles commencent à comprendre qu’elles ont le droit de choisir librement leur mari.

Victimes de violences sexuelles

D’un autre côté, beaucoup de petites filles, d’adolescentes et de jeunes filles risquent ou sont victimes de violences sexuelles.

La fondation Xaley a fondé de multiples groupes de discussion avec des petites filles et des adolescentes membres du Mouvement Africain des Enfants et Jeunes Travailleurs, beaucoup d’entre elles travaillant comme domestiques chez des familles de classe moyenne ou supérieure. Parfois, elles expriment le manque de protection qu’elles ressentaient chaque nuit lorsqu’elles allaient se coucher, et la terreur et les abus faits par certains adultes avec lesquels elles vivent, de leur propre famille, ou dans les maisons dans lesquelles elles travaillent.

Pendant les douze ans durant lesquels la fondation Xaley a collaboré avec les Associations d’Enfants et Jeunes Travailleurs de St Louis, Thies, Louga et Duirbel, des centaines de cas de maltratance physique et psychologique et d’abus sexuels ont été détectés par les «aînées protectrices» des associations, qui en ont référé aux Comités de Protection des quartiers et à d’autres structures de soutien.

Abus qui ne sont pas dénoncés

Dans la majorité des cas, les victimes n’arrivent pas à dénoncer les faits, dissuadées par leurs propres familles ou les familles chez qui elles travaillent.Les raisons sont nombreuses : l’ostracisme dont souffrent les femmes qui dénoncent les hommes de leur famille ou leur communauté ; la stigmatisation à laquelle se voient soumises les petites filles victimes d’abus ; le peu d’intérêt et la réticence des institutions judiciares ou policiaires; la peur de perdre leur travail et de ne pas pouvoir en retrouver un autre ; la peur des représailles…

L’association des Juristes Sénégalaises nous a informés que leur expérience est très similaire à celle de la Fondation Xaley : dans très peu de cas la victime ou sa famille finit par dénoncer la personne responsable des mauvais traitements ou de l’abus pour les raisons mentionnées ci-dessus.

Le Comité des Droits de l’Enfant de l’ONU, dans son dernier rapport sur le Sénégal (2016), souligne qu’il n’existe aucune donnée concernant le nombre d’investigations, de poursuites ou de condamnations relatives à des cas d’exploitation ou d’abus sexuels de mineures.

Le Droit à l’intégrité physique

Les petites filles et les adolescentes subissent une double discrimination dans de nombreux domaines. Je terminerai en faisant allusion à la discrimination qui concerne l’accès au droit à l’intégrité physique.

Le code pénal du Sénégal définit l’ablation génitale féminine totale ou partielle comme un délit, puni d’une peine de prison durant entre six mois et cinq ans.

La réalité est que cette pratique reste très courante dans de larges secteurs de la population du Sénégal, surtout dans le monde rural. Selon l’OMS, la prévalence de l’ablation au Sénégal en 2006 était de 28%. Le taux de mutilation des petites filles et des femmes de 15 à 49 ans est de 26% selon un rapport de l’UNICEF publié en 2013.

Lutter pour ses droits

A Xaley nous sommes convaincus que la lutte pour les droits des petites filles et des adolescentes est la manière la plus directe et la plus efficace de lutter pour les droits de l’Homme. En plus de nécessiter un meilleure protection car elles sont victimes d’une double violation de leurs droits les plus essentiels, les petites filles et les adolescentes d’aujourd’hui seront les femmes et les mères de demain, celles qui transmettront à leurs enfants leurs valeurs et leur exemple.

Protéger les petites filles et les adolescentes et promouvoir leur éducation intégrale est la façon la plus directe de briser le cercle vicieux d’ignorance, de discrimination, et de pauvreté, imposé par la culture patriacale dominante, qui se perpétue de mère en fille, pour le remplacer par un cercle vertueux d’éducation, d’égalité et de progrès.

Nous avons besoin de nous rassembler, femmes et hommes, plus jeunes et plus vieux, pour y arriver.

Santiago Lleó

Président de la Fondation Xaley